KAROOMI AVOCATS

Cabinet Franco-arabe
Les outils objectifs de la Blockchain au service de l’indemnisation du préjudice corporel

Nasr KAROOMI
6 avril 2023
Smart contract, oracles et indemnisation de la victime : la quadrature du cercle ?
« Dans le cadre de cet article, le fait générateur du dommage corporel se résumera à l’accident de la circulation. En effet, les hypothèses génératrices d’un dommage corporel sont si variées, que le traitement exhaustif de chaque cas risque de nuire à la clarté du propos. »
En France, le système légal en matière d’indemnisation du dommage corporel, met à la charge des compagnies d’assurances et du Fonds de Garantie, l’obligation de réparer les préjudices des victimes.
En droit commun, c’est l’assurance du responsable qui est tenue d’indemniser.
Néanmoins, si la naissance de ce droit survient au moment de l’accident, il ne peut devenir effectif, se traduisant par le versement d’une avance, dite provision, ou d’une indemnisation intégrale des préjudices, qu’à la suite d’une procédure.
Cette procédure comprend l’établissement des pièces médicales au moment de l’accident et durant la maladie traumatique, leur communication à la compagnie d’assurance, le temps nécessaire de la maladie traumatique, l’organisation d’une expertise, le constat de la consolidation de l’état de santé de la victime, la communication par la victime de l’ensemble des pièces confirmant ses différents préjudices, et finalement, le versement de l’indemnisation.
En cas de désaccord, une procédure contentieuse pourra se substituer aux pourparlers amiables, remettant au juge la charge de trancher le désaccord sur le principe ou/et le montant de l’indemnisation.
Dans le but de simplifier ces démarches, les compagnies d’assurances ont conclu une convention permettant à la victime de se faire indemniser par sa propre compagnie et non la compagnie du responsable, pourvu que son taux d’incapacité ne dépasse pas un seuil de 5%.
Il s’agit d’une tentative, timide, de simplification de la procédure, l’interlocuteur étant l’assurance de la victime, censé connaître la situation de celle-ci.
C’est dans ce cadre que s’invite une nouvelle solution constituée par le trio : Blockchain, contrats intelligents (smart contract) et oracles.
I) L’existence du droit à indemnisation
A) L’horizon du possible : La reconnaissance du droit à indemnisation des piétons
La loi dite Badinter du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation a considérablement simplifié les choses.
En effet, dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation, le droit à indemnisation de la victime piétonne est quasiment acquis, sauf rares exceptions (faute inexcusable de la victime, cause exclusive de l’accident.).
Dans ce cas, il est tout à fait possible d’imaginer qu’un oracle puisse apporter l’information de la survenance de l’accident, de l’identité des personnes impliquées, des circonstances de l’accident, et du constat du droit à indemnisation de la victime, au contrat intelligent.
Actuellement, des oracles sont capables de réaliser cette tâche, à l’image de la société Chainlink, le principal oracle décentralisé ayant, déjà, largement fait ses preuves.
Pour ce faire, il suffirait que l’oracle ait accès à une API référençant les procès-verbaux des accidents de la circulation établis par les autorités.
En réalité, il s’agit simplement de transformer un système existant, dit trans-pv, en API exploitable pour l’oracle.
La compagnie d’assurance sera capable, à travers le contrat intelligent, de reconnaître immédiatement le droit à indemnisation de la victime, et de débuter une procédure de réparation.
Néanmoins, quid de l’exception de la faute inexcusable cause exclusive de l’accident ?
L’oracle n’a pas un rôle d’appréciation de l’information.
Si une contestation devait naître, alors le smart contract devrait prévoir une possibilité de recours à une procédure contradictoire où la compagnie et la victime pourraient développer et défendre leur position.
Il conviendrait, dès lors, de solliciter les outils subjectifs de la blockchain : l’arbitrage décentralisé.
Cette difficulté se pose avec plus de force lorsqu’il sera question d’une victime conductrice.
B) Mission impossible : la contestation du droit à indemnisation du conducteur
La difficulté est d’autant plus grande que la majorité des accidents concernent des victimes conductrices de véhicule terrestre à moteur.
Dans ce cas, la loi prévoit que toute faute peut réduire, voire exclure le droit à indemnisation.
Par conséquent, il est difficile d’imaginer, dans cette hypothèse, s’en remettre à un oracle et aux stipulations du contrat intelligent pour trancher la question.
En effet, la compagnie d’assurance recherche, systématiquement, les fautes pouvant être opposées à la victime conductrice.
Dans ce dernier cas, seul un outil subjectif permettrait de surmonter la difficulté.
En effet, l’oracle est incapable de trancher cette question, le sujet n’étant pas binaire.
A titre d’exemple, un conducteur peut commettre une faute en dépassant la vitesse autorisée de 5Km/h, sans pour autant que sa faute puisse être causale de l’accident.
C’est une vision générale de l’accident, couplée d’une appréciation subjective du poids de la faute qui interdit toute possibilité de recourir à un oracle objectif.
L’obstacle devient plus important encore lorsqu’il s’agit de l’évaluation des préjudices de la victime.
II) L’évaluation des préjudices de la victime
A) L’horizon du possible : le versement d’une provision
Nous supposons que le droit à indemnisation de la victime est acté par le smart contract.
S’ouvre alors la procédure d’indemnisation qui nécessité, durant la période de la maladie traumatique, le versement d’une avance sur l’indemnisation finale : la provision.
Afin que le contrat intelligent puisse être en capacité de mesurer le montant de cette provision, l’oracle doit lui apporter des informations de nature médicale concernant le dommage corporel (traumatisme crânien, fracture ouverte ou fermée, amputation d’un membre, paraplégie, etc.) et une appréciation de la gravité de celui-ci.
Pour ce faire, le médecin devra saisir ces informations dans le terminal qui nourrit l’API, en étant tenu de fixer la gravité de chaque dommage sur une certaine échelle (Système d’ITT perfectionné).
Cette architecture pourrait représenter une révolution dans la défense des victimes qui se trouvent en situation de fragilité, voire de détresse financière, à la suite du fait dommageable.
Ainsi, les victimes n’auraient plus à attendre des mois avant de se voir verser des provisions modestes, sans rapport avec leur préjudice, ce qui les fragilisent d’autant plus.
Il est à noter que ce système exige un investissement important en infrastructure et en formation des professionnels de la santé occupés, au premier chef, à soigner.
En effet, l’indemnisation peut apparaître comme secondaire dans les suites immédiates de l’accident, sauf à considérer qu’une indemnisation juste et rapide, participe également au soin des maux de la victime.
Cependant, il semble que les limites des outils objectifs se manifestent davantage lorsqu’on étudie l’indemnisation définitive de la victime.
B) Mission impossible : l’indemnisation de la victime
La victime voit son état de santé consolidé à la suite d’une expertise médicale.
Le chiffrage de ses préjudices se base, alors, à la fois sur les conclusions médicales et les justificatifs fournis par elle (Pertes de gains professionnels, préjudice d’agrément, dépenses de santé, etc.)
Or, cette évaluation est éminemment subjective puisqu’elle n’a pas pour assiette le dommage, mais le préjudice.
A titre d’illustration, nous pouvons évoquer l’exemple classique du pianiste et du retraité se cassant, tous deux, le même doigt -dommage identique- et n’auront pourtant pas le même préjudice.
Un oracle ne pourrait pas, par nature, interpréter les conclusions d’une expertise médico-légale, sauf à admettre que l’ensemble de la procédure soit enfermé dans le carcan des barèmes et référentiels.
La victime serait alors défavorisée par un traitement in abstracto (toutes les victimes seraient soumises au même barème), alors que c’est un traitement équitable et in concreto qui prévaut en cette matière.
En outre, quelle serait l’alternative en cas de désaccord ?
Si un retour au juge est possible, synonyme d’une procédure longue et couteuse, le système tout entier ne serait qu’une réponse partielle et incomplète.
C’est la raison pour laquelle, l’outil objectif doit être complété par l’outil subjectif d’un oracle humain d’ores et déjà à l’œuvre dans d’autres matière, se traduisant par un système d’arbitrage décentralisé.